Don d’organes : en Algérie, les tabous ont la peau dure

En lui offrant un rein, Nawel a permis à son mari Boubaker d'en finir avec 16 ans de dialyse, « une  renaissance ». En Algérie, comme ailleurs dans le Maghreb, des patients souffrent ou meurent faute de greffe, souvent en raison de règlements et de préjugés tenaces qui dissuadent les dons.

Des lois restrictives freinent les prélèvements sur les défunts, auxquelles s'ajoutent des réticences culturelles ou religieuses, que des médecins et des théologiens jugent pourtant infondées.

Ainsi, parce qu'il croyait faire courir un risque à son épouse, Boubaker Ziani, un Algérien de 47 ans, a longtemps refusé cet organe que Nawel lui proposait parce qu’elle ne supportait pas de voir son mari affaibli, incapable de porter ses enfants ou de jouer avec eux. En l’absence d’alternatives, il s’est finalement résolu à accepter.

Ziani a été opéré au Centre hospitalier universitaire de Batna, devenu l'un des deux centres de référence pour les greffes de rein en Algérie, grâce à une jeune équipe médicale multidisciplinaire.

 « Je suis comme un nouveau-né », a-t-il expliqué à l'AFP les larmes aux yeux, après cette greffe salvatrice.

Dans une salle de consultation, Abderahmane, 47 ans, va en finir avec 24 ans de dialyse grâce au rein donné par sa mère. « La dialyse a dominé mon existence. Je veux pouvoir me reposer de cette machine et vivre », confie-t-il.

Sa maladie est héréditaire. Un de ses frères, non greffé, est mort. Un autre est sous dialyse depuis deux ans.

En Algérie, plus de 22.000 insuffisants rénaux sont sous dialyse, selon le ministère de la Santé. Un tiers d'entre eux attend une transplantation rénale.

Le nombre exact de patients en attente de transplantation en Algérie, tous organes confondus, est inconnu faute de l’absence d’un registre national les recensant.

De nombreux malades ont besoin d'une greffe de foie, et sont ainsi tributaires du don d'un parent ou d'une personne décédée. Beaucoup d'autres sont dans une situation critique parce qu'ils ont besoin d'un coeur, par exemple, un organe qu'on ne peut prélever que sur un défunt.

La loi algérienne prévoit qu'une personne vivante ne peut donner qu'à ses parents, ses enfants, son frère, sa soeur et son conjoint, ce qui limite les possibilités de greffe. De plus, elle soumet le prélèvement des organes d'un défunt à l'accord de sa famille, or l'écrasante majorité s'y oppose par manque d'information, par crainte d'enfreindre un éventuel interdit religieux ou par défiance vis-à-vis des médecins.

« Certaines familles n'avaient jamais entendu parler de prélèvement sur cadavre avant le décès de leur proche », explique le Dr Ahmed Bougroura, chef du service de néphrologie du CHU de Batna et coordinateur de l'équipe greffe.

Le théologien Kamel Chekkat, membre de l'association des oulémas d'Algérie, balaie les tabous liés à l'islam : « Du point de vue religieux, rien ne s'oppose au don d'organes et au prélèvement sur des cadavres », explique-t-il.

Selon lui et d'autres théologiens Musulmans, le don d'organe est même « une aumône continue » (sadaqa jâriya), terme qui désigne dans l'islam un bienfait qui se poursuit après le décès de son auteur.

Ce don réalise « l'un des objectifs majeurs de la loi canonique Musulmane, qui est la préservation de la vie", précise M. Chekkat.  A ceux qui s'inquiètent de la piété du receveur, il rappelle que « quelle que soit la religion du patient, et même si c'est un ennemi de Dieu, la loi de Dieu veut que l'on préserve sa vie ».

Pour encourager les dons, l'Algérie étudie une modification de la loi qui permettrait à chacun d'indiquer par écrit s'il refuse ou autorise que ses organes soient prélevés en cas de décès, permettant dans ce dernier cas de passer outre un refus de la famille. 

National, Société