Conçu à l'origine comme une voie commerciale mondiale destinée à éviter le détour par le cap Horn, le canal de Panama, qui fête ses 100 ans, s'était finalement révélé militairement stratégique pour les Etats-Unis, instrument clé de leur domination en Amérique latine.
Porté à ses débuts par le Français, Ferdinand de Lesseps, le concepteur du canal de Suez, ce sont finalement les Américains qui l'ont mené à terme, s'en arrogeant une concession abusive, où la bannière étoilée a flotté de son inauguration en 1914 jusqu'à sa rétrocession au Panama, en 1999.
« Les Etats-Unis ont utilisé toute leur influence diplomatique et militaire pour contraindre le Panama à s'allier avec eux », explique le philosophe et historien de l'Université de San José en Californie, Michael Conniff.
Ils ont signé, en 1903, un accord leur accordant une concession à perpétuité, moyennant une modeste redevance annuelle, assortie de l'autorisation d'établir des bases militaires « pour défendre le canal », et faire du Panama un protectorat », résume John Lindsay-Poland, auteur de l'ouvrage « Emperadores en la Jungla » (Les empereurs de la jungle).
Cette voie « a augmenté le commerce mondial », assure l'avocat et analyste Panaméen, Ebrahim Asvat, ajoutant que « l'économie de pays comme le Chili, le Pérou ou l'Equateur est si liée au canal, que si celui-ci fermait, ils s'effondreraient, la majorité de leur commerce transitant à travers cette voie ».
Michael Hogan, auteur de « El Canal de Panama en la Politica Estadounidense » (Le canal de Panama dans la politique Américaine), rappelle que si les magnats de Wall Street se frottaient les mains avec ce projet qui mettait New York à 9.000 km de San-Francisco, au lieu des 22.000 via le Cap Horn, le président Américain, Theodore Roosevelt, élu en 1901, voulait en faire un instrument de puissance navale mondiale des Etats-Unis. « Et le canal l'a rendu possible », affirme-t-il, en facilitant les mouvements de sa flotte de guerre d'un océan à l'autre.
Les bases avancées au Panama ont également servi à envoyer des troupes au Nicaragua, au Guatemala, en République dominicaine, puis en 1967 au Bolivie pour mater des mouvements de résistance hostiles à Washington.
Utilisant le canal pour le commerce et la jungle environnante pour des entraînements militaires, des expériences scientifiques sur les maladies tropicales ou des essais d'armes chimiques, « Panama a été le nœud central de l'expansion de l'empire Américain », signale encore M. Lindsay-Poland.
Sur cette frange de 1.500 km2, les Etats-Unis ont érigé jusqu'à 14 bases militaires, hébergeant leurs plus importants contingents hors de leur territoire.
C'est aux prémices de la Guerre froide que sera fondée aussi, en 1946, l'Ecole des Amériques, un centre de formation dans le combat idéologique contre le communisme, d'où sortirent nombre des pires dictateurs de la région.
En pleine lutte idéologique en Amérique Latine, le canal s'est converti en symbole de l'impérialisme Américain, débouchant à la signature, en 1977, d'un traité de rétrocession du canal au Panama, le 31 décembre 1999.
Dix ans auparavant, les Etats-Unis avaient démontré leur mainmise sur la zone, en renversant le général Manuel Noriega, soupçonné de vouloir s'émanciper de la tutelle Américaine.