Malgré la maladie et le poids de ses 88 ans, le moudjahid Ahmed Gada, le dernier des "bandits d’honneur des Aurès", se souvient clairement de nombre de détails de la réunion tenue la dernière semaine d’octobre 1954 au village Legrine dans la région de Boulefrayès, commune d’Ouled Fadhel (Batna).
"Ce fut un tournant décisif dans l’histoire de la Révolution de novembre", assure ce moudjahid de la première heure qui note que la rencontre a donné lieu à la reproduction de copies de la Déclaration du 1er novembre 1954, la désignation des groupes pour les trois zones de Batna, Khenchela et Biskra, l’annonce de la date du déclenchement de la révolution et des cibles à frapper.
Un des 16 "bandits d’honneur de la région des Aurès", recherchés par les autorités coloniales depuis les années 1940 et condamné à mort par contumace en 1950, Gada relève que la réunion a été tenue à Legrine relevant du douar Oued Omar Ben Fadhel au lendemain du retour d’Alger de Mostefa Benboulaïd suite à la réunion du groupe historique des Six (Boudiaf, Benboulaïd, Didouche, Ben M’hidi, Belkacem et Bitat).
Rencontré à son domicile à l’entrée de la ville de Tazoult, ce moudjahid assure à l’APS que la réunion de Legrine a eu lieu les 26 et 27 octobre durant la nuit à la maison du militant nationaliste Abdallah Ben Messaouda alias Amziti.
Benboulaïd connaissait fort bien ce militant depuis les années 1940, témoigne Gada qui affirme que lui et Hocine Berahaïl, un autre "bandit d’honneur", trouvaient souvent refuge dans cette maison de Ben Messaouda.
La réunion a débuté par le serment prononcé par les participants sur le saint Coran de conserver le secret, ajoute Gada qui note que tous les cadres de la Révolution des Aurès furent présents, dont Adjel Adjoul, Abbas Laghrour, Tahar Nouichi, Hadji Moussa, Mostefa Bousseta, Abdallah Benmessaouda, Mohamed Khentar, Hocine Berahaïl, Chihani Bachir et Athmani Abdelwahab.
Plus de 200 militants pour assurer la surveillance de la réunion
Plus de 200 militants assuraient la surveillance de la région sur les monts Chélia, Gabel Lefdjoudj et Bouarif.
Un des rares témoins de cette réunion encore en vie, Gada affirme que enboulaïd a, après la prestation de serment, lu la déclaration du 1er novembre puis a demandé à Chihani Bachir de la reproduire avant d’annoncer que le 1er novembre sera la date de déclenchement de la Révolution et que l’Aurès sera appelé à supporter seul la réaction coloniale pendant 6 à 8 mois.
Benboulaïd, a-t-il ajouté, a procédé à la répartition des 27 groupes de moudjahidine, dont cinq dirigés vers Biskra sous les commandes de Gada Ahmed et Hocine Berahaïl et cinq autres vers Khenchela sous la direction d’Abbas Laghrour et Athmani Abdelwahab.
Les groupes restants ont été placés sous les commandes de Chihani Bachir, Mostefa Bousseta et Adjel Adjoul. Chaque groupe s’est vu également fixé les cibles à frapper.
Au début du mois d’octobre, Benboulaïd, affirme Gada, lui avait demandé ainsi qu’à Berahaïl de préparer "dans le plus grand secret" les militants de Biskra pour le grand jour qui se rapprochait.
La maison de Ben Messaoudaà mémoire d’un lieu
62 ans après cette réunion historique, la maison de Ben Messaouda demeure un haut lieu de Mémoire où Benboulaïd avait annoncé aux militants des Aurès la date du déclenchement de la Révolution de novembre.
Selon le président de l’association Histoire d’Ouled Fadhel qui est également le fils du propriétaire de la maison Abdallah Ben Messaouda, beaucoup d’historiens, d’universitaires et de curieux ont visité et voulu visiter cette maison "à grande valeur historique".
Moult détails sur cette réunion demeurent méconnus, ajoute-t-il, assurant qu’un séminaire a réuni récemment sur cet évènement des chercheurs et universitaires travaillant sur l’histoire de la Révolution et une revue intitulée Legrine paraîtra durant ce mois d’octobre à l’occasion du 62ème anniversaire de cette réunion.
La maison Ben Messaouda a été réhabilitée et des fresques comportant les noms des moudjahidine qui s’y étaient réunis ont été placées.
Le voeu exprimé par plusieurs des habitants d’Ouled Fadhel est de voir cette humble demeure transformée en musée d’histoire qui rappellera aux générations futures l’importance de la réunion que Mostefa Benboulaïd y avait présidée, il y a 62 ans. APS