
Juan Benito Druet vient d'apprendre qu'il va peut-être changer de vie. Un rein sain l'attend dans quelques heures grâce à un mécanisme pionnier de dons pionnier que le monde envie à l'Espagne depuis 25 ans.
L'Organisation nationale des transplantations (ONT), un fleuron national, permet à l'Espagne de détenir, depuis 25 ans, le record mondial de donneurs d'organes décédés par million d'habitants : 43,4 en 2016.
En 2015, le chiffre était de 40,2 en Espagne, contre seulement 28,2 aux Etats-Unis, 28,1 en France et 10,9 en Allemagne, selon des données publiées par le Conseil de l'Europe.
L'opération de greffe dure quatre heures et demie. Les chirurgiens nettoient et préparent le rein prélevé la veille sur une patiente décédée, incisent l'abdomen du receveur sur 15 cm et greffent l'organe.
Après l'opération, les patients « commencent à reprendre du poids, aller mieux. C'est comme si on leur transfusait la vie », témoigne Rafael Matesanz, fondateur de l'ONT.
Celui-ci vante le système Espagnol centralisé et bien huilé, calqué point par point par des pays comme la Croatie ou le Portugal et qui en a inspiré bien d'autres en Europe.
Chaque hôpital a un coordinateur des greffes. Médecins ou infirmiers, souvent de spécialistes des soins intensifs, une caractéristique déterminante que l'Espagne a été la première à mettre en place, souligne le Dr. Matesanz.
Ces personnels sont les mieux à même d'identifier les patients risquant la mort cérébrale ou l'arrêt cardio-respiratoire, deux situations où les organes dits solides (reins, foie, parfois coeur, poumons, pancréas ou même intestin grêle) peuvent encore fonctionner, et donc être transplantés.
Les acceptations de dons sont aussitôt communiquées à l'ONT, qui recherche le patient le plus adéquat sur ses listes d'attente. S'il est loin, une glacière contenant l'organe est acheminée par les airs, dans le cockpit avec le pilote.
L'opération est gratuite, anonyme et ouverte seulement aux résidents en Espagne pour éviter les dérives et trafics.
« Ce qui fait la différence, c'est l'organisation du système. Ce réseau, cette centralisation, c'est la clé » de la réussite Espagnole, explique Marie-Charlotte Bouësseau, spécialiste des questions éthiques pour l'OMS à Genève.
C’est environ 10% des besoins de greffes seulement qui sont couverts au niveau mondial, affirme-t-elle, citant une estimation de l'OMS. « Cela veut dire que 90% des patients vont mourir alors qu'ils sont en liste d'attente ».
Or en Espagne, l'ONT dénombre seulement 4 à 6% de patients décédés en 2016 alors qu'ils étaient en attente d'un organe vital (foie, coeur ou poumon).
L'autre secret du modèle espagnol est la formation et la communication, souligne Rafael Matesanz. Depuis sa création en 1989, l'ONT a formé plus de 18.000 coordinateurs chargés de convaincre des proches de défunts d'accepter le principe du don.
Selon la loi espagnole, si une personne décédée n'a pas manifesté de volonté contraire de son vivant, elle est présumée donneuse d'organes. Mais les proches sont systématiquement consultés. Et « il faut avoir beaucoup d'empathie, de délicatesse, de respect », explique Belén Estébanez, coordinatrice des greffes à l'hôpital La Paz.
« S'ils doutent beaucoup, on leur demande comment était la personne, si elle était généreuse... de là, on les amène à réfléchir au don », explique Damiana Gurria, autre coordinatrice. En poste depuis dix ans, elle constate que le sujet est de mieux en mieux connu des Espagnols.
« Cela réconforte beaucoup de familles de savoir que les organes de leur fils vont vivre dans quelqu'un d'autre, que des gens vont leur être reconnaissants pour la vie », ajoute-t-elle.
C'est le cas de Ramon Garcia Castillo, qui met un point d'honneur à manger équilibré et à boire deux litres d'eau par jour depuis qu'il a un nouveau rein.
« Il faut que j'en prenne soin, d’autant qu'on me l'a donné. Je suis redevable! » déclare-t-il.