Des participants au colloque international sur Mouloud Mammeri se sont accordés samedi à Alger au cours du deuxième jour de leurs travaux, sur l'unicité des écrits du penseur qui ont dépassé les préoccupations locales pour atteindre "l'universel".
Les participants, étrangers et algériens, au colloque de trois jours organisé par le Haut commissariat à l'Amazighité (HCA), ont axé leurs interventions sur l'intérêt accordé par l'écrivain au "devenir" de son œuvre et le souci de l'inscrire dans la durée, face aux mutations sociales dictées par les différents contextes historiques en Algérie et dans le monde.
Replaçant ce qu'elle définit comme le "volontarisme désespéré" de Mammeri dans son contexte, la critique française Denise Brahimi a d'abord insisté sur le caractère "univoque" et "entier" de son œuvre, marquée, dira-t-elle, par un "réalisme absolu" qui véhiculait dans ses non-dits, "le génie populaire kabyle".
Expliquant ensuite que le "mythe kabyle" n'était présent dans l'œuvre de Mammeri que pour être "exorcisé", l'oratrice s'est étalée sur l'"absence agissante" qui a forgé chez ce penseur "cartésien", la "résilience", se refusant d'être "pleureur" ou "nostalgique", ce qui, selon elle, traduit "le paradoxe kabyle".
La question existentielle s'est longtemps posée dans l'úuvre de Mammeri, selon l'Algérienne docteure en littérature, Afifa Brarhi, qui a abordé le "caractère tragique" des écrits de Mammeri, à travers une "autopsie critique" sur la société kabyle subissant les affres du colonialisme, en relation avec la situation dramatique d'après guerre (1939-1945) dans le monde.
Frappé par l'absence d'humanisme dans le monde, Mouloud Mammeri, visionnaire au fait de la pensée des grands philosophes, ne manquera pas de donner à ses écrits qu'il puisait du "mythe kabyle", une dimension universelle, soulignant dans son úuvre, poursuit Affaf Brarhi, que le "salut de l'homme" résidait dans son "inscription à l'universalité".
L'Algérien, professeur d''université, Mohammed Smail Abdoun exposant l'exemple du "Sommeil du juste"(1954) a mis en exergue la "force du niveau de langue" dans l'œuvre "hautement esthétique" de Mammeri, à travers l'analyse de la forme (syntaxe, agencement des énoncés, l'emploi grammatical ...) et de la poétique, qualifiant l'auteur d'"artiste", aux traits littéraires "spécifiques".
Une forme "singulière" au service d'un contenu "puissant", où Mammeri use d'un "lyrisme par procuration", poursuit le conférencier, et articule la trame de son roman "autour de ses autres écrits" dans une fiction qui intègre la "vraisemblance" et laisse le narrateur "se confondre" avec le personnage de Rezki.
Le thème de l'"intertextualité" dans l'œuvre de Mammeri a été développé par le professeur algérien d'université Ahmed Lanasri, à travers une comparaison de "La colline oubliée" (1952) avec "La colline inspirée" (1913), roman historique de Maurice Barrès, où l'écrivain algérien "désignait lui-même l'intertexte" de son úuvre, expliquant que le recours à une telle technique d'écriture, selon l'intervenant, reposait sur le souci de l'universalité par la "similitude des situation" en Kabylie et ailleurs dans le monde.
Dans "La colline oubliée, Mammeri, au style d'écriture "redoutable et déconcertant", ajoute le professeur, se raconte et entre en contact avec l'ancêtre, à travers "Taâssast" (la gardienne), chambre haute perchée sur la montagne de "Tazga", dont "l'accès est interdit à tous".
Pour sa part, la spécialiste de littérature africaine Amina Azza Bekkat a abordé le parcours de Mammeri "l'humaniste", s"appuyant sur "Ecrits et paroles", un recueil de Boussad Berriche, rassemblant 37 ans d'interviews et d'échanges où se dégage l'image d'un homme "ancré dans sa culture" et d'un "humaniste libre" aux "aspirations" qui ont dépassé l'úuvre.
Dans ce recueil, dira la spécialiste, Mammeri évoque avec "modestie" les noms des "héros africains" qui, comme lui, ont mené le même combat identitaire et existentiel, qualifiant d'"engagé" le "roman africain" car il raconte "la joie" et "les peines" des opprimés.
Le colloque international sur le centenaire de Mouloud Mammeri, organisé parallèlement au 22e Sila, prendra fin le 5 novembre.