La grève des 8 jours (du 28 janvier au 04 février 1957), observée en plein guerre de libération nationale, a constitué un appui considérable pour porter la lutte pour l'indépendance sur la scène internationale, a affirmé le professeur Mohamed Lahcène Zeghidi, historien et enseignant à l'université d'Alger.
Cette action, décidée par le Front de libération nationale (FLN), était un "choix salutaire" pour appuyer le combat des Algériens pour l'indépendance, lors la tenue de la 11e session de l'Assemblée générale de l'ONU consacrée à la cause nationale, a expliqué l'universitaire dans un entretien à l'APS.
L'historien estime qu'après le congrès de la Soummam, "il était impératif de mobiliser l'opinion publique internationale sur la cause algérienne et que le FLN en était le seul guide".
"C'est la raison pour laquelle les membres du CCE avaient décidé de se lancer dans la lutte pacifique", a-t-il dit, ajoutant que jusqu'en 1956, les dirigeants du FLN "focalisaient sur l'organisation et la mobilisation à l'intérieur".
L'universitaire considère que la grève des 8 jours était un modèle d'organisation, car "tout a été pris en considération pour permettre au peuple, notamment les couches sociales défavorisées, de subvenir à leurs besoins durant la période de la grève", soutenant que cette action qui était un tournant dans la guerre de libération nationale, était "un pari réussi pour les dirigeants du FLN".
M. Zeghidi souligne que l'adhésion à l'appel du FLN à travers le territoire national était le fruit de l'organisation et de la restructuration de la société après le congrès de la Soummam.
Cela s'explique, poursuit-t-il, par le fait qu'en 1956 plusieurs organisations ont vu le jour, notamment l'Union des étudiants musulmans algériens, l'Union générale des travailleurs algériens (Ugta) et l'Union générale des commerçants algériens (Ugca).
En plus de l'écho jugé retentissant de la grève sur le plan international, l'événement a eu aussi des retombées à l'intérieur, selon l'historien.
"La grève a fait avorter les réformes annoncées sous Jacques Soustelle et démoli la politique de la force et la solution militaire décidée par l'administration coloniale.
Cet évènement historique a brisé le mur de la peur et montré l'adhésion du commerçant algérien à la révolution", a-t-il ajouté.
La Zone autonome d'Alger mise à rude épreuve La grève des 8 jours était aussi une période difficile pour les militants de la Zone autonome d'Alger (ZAA), selon plusieurs témoins.
Lachgar Mohamed Laid, militant dans la ZAA, affirme que la grève était une réponse à l'administration coloniale qui "voulait démontrer par tous les moyens que le FLN ne représentait rien.
"A ce moment-là, il y avait plusieurs tiraillements, les messalistes ont crée le MNA, un mouvement contre révolutionnaire. Ensuite, il y a eu la création des (combattants de la liberté) par les communistes. Le FLN a donc décidé de prendre les choses en main et voulait démontrer que le peuple était derrière lui", souligne M. Lachgar.
Il affirme que l'armée coloniale considérait la grève comme "une action insurrectionnelle" pour justifier la répression, les tortures et les massacres qui ont été commis.
En dépit de la répression, l'organisation de la ZAA, décapitée durant la grève, a été recrée au bout de deux mois, soutient M. Lachgar, soulignant que "La zone autonome a résisté pendant plusieurs mois, malgré le quadrillage de la ville par l'armée coloniale et des actions spectaculaires y ont été organisées".
Belkacem Khezmat, délégué des Moudjahidines de la Daïra de Bab El Oued, était au moment des faits un transporteur d'armes à la Casbah d'Alger.
Il dit se rappeler que la réaction des soldats français pour tenter de casser la grève n'a eu lieu qu'au troisième jour.
"Les soldats ont saccagé les magasins et forcé les employés grévistes à se rendre à leur travail.
Il y a eu plusieurs arrestations, des emprisonnements, des tortures et des disparitions", raconte-t-il.
"On a compris que le peuple devait être entendu dans le monde entier et que l'ALN n'était pas composé de bandits, mais de révolutionnaires", ajoute l'ancien transporteur d'armes, qui a été chargé durant la grève de collecter des fonds pour aider les familles nécessiteuses.
Si Tahar, un militant de l'ALN au Clos Salembier, à Alger, évoque, pour sa part, "les glorieuses journées" de la grève des 8 jours, mais qui ont été marquées par une violence de la part de l'armée coloniale.
"Les paras avaient encerclé Alger et forcé des portes de maisons durant la nuit à la recherche de militants.
Ils ont même déshabillé des femmes devant leurs maris, des magasins de commerçants grévistes ont été pillés", se remémore-t-il, les larmes aux yeux.
Ce témoin considère que la grève avait permis de "fournir" les maquis, notamment ceux des wilaya IV et III, en militants. "Ces derniers fuyaient Alger.
Ils préféraient mourir au maquis les armes à la main que de mourir torturés", confie Si Tahar, rappelant que c'était la première fois qu'il voyait "les bérets verts", des unités de parachutistes spécialisés dans la torture.
Avec amertume, il estime que l'ALN avait perdu, lors de cette grève, plusieurs de ses militants qui ont été soit arrêtés, soit liquidés et dont un nombre important demeure, selon lui, disparus à ce jour.
Bourahla Mohamed, militant de la zone autonome et ancien condamné à mort, a été, lui, arrêté à l'issue de la grève et est resté détenu près de trois mois dans une villa en construction occupée par les paras à El Biar.
"J'étais au milieu de plusieurs personnes qui étaient avec moi en détention, torturées à mort pour certaines d'entre-elles, portées disparus à ce jour, pour d'autres", se souvient l'ancien condamné à mort, 64 ans après les faits.
APS