L’armée du Myanmar a organisé un coup d’État tard dimanche soir après avoir arrêté Aung San Suu Kyi, cheffe de facto du gouvernement, laissant ainsi croire à un probable coup d’État, désignant un général comme président de la république par intérim et proclamant l’état d’urgence pour un an.
Cette décision est nécessaire pour préserver la « stabilité » de l’État, ont fait savoir les militaires dans une annonce sur leur chaîne de télévision, NAME. Ils accusent la commission électorale de ne pas avoir remédié aux « énormes irrégularités » qui ont eu lieu, selon eux, lors des législatives de novembre, remportées massivement par le parti d’Aung San Suu Kyi, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), au pouvoir depuis les élections de 2015.
L’armée s’est emparée de l’hôtel de ville de Rangoun, la capitale économique du pays, a constaté un journaliste de l’AFP. Quelques heures plus tôt, Aung San Suu Kyi et le président de la République, Win Myint, ont été arrêtés.
« Nous avons entendu dire qu’[Aung San Suu Kyi] est détenue à Naypyidaw [la capitale du pays] » a fait savoir à l’AFP Myo Nyunt, le porte-parole du parti de la Prix Nobel de la paix, la Ligue nationale pour la démocratie (LND). Selon lui, d’autres responsables du mouvement ont également été arrêtés. Ces arrestations interviennent alors que le Parlement issu des dernières législatives devait entamer sa première session dans quelques heures. Sollicité, le porte-parole de l’armée n’était pas disponible dans l’immédiat.
Les banques en Birmanie ont aussi été temporairement fermées peu après le coup d’État, a-t-on appris lundi auprès l'Association des banques du pays. Elles ferment temporairement « à partir du 1er février » en raison des mauvaises connexions Internet, selon un communiqué de l’association. Des personnes faisaient déjà la queue devant des distributeurs automatiques cherchant à retirer de l'argent, ont constaté des journalistes de l'AFP.
Les États-Unis et l’Australie ont rapidement exigé dimanche la libération par l’armée myanmaraise des dirigeants interpellés, dont celle d’Aung San Suu Kyi. « Les États-Unis s’opposent à toute tentative de modification des résultats des récentes élections ou d’entrave à une transition démocratique au Myanmar et vont agir contre les responsables si ces mesures [les arrestations] ne sont pas abandonnées », a dit dans un communiqué la porte-parole de la Maison-Blanche, Jen Psaki.
« Nous appelons l’armée à respecter l’État de droit, à résoudre les différends par des mécanismes légaux et à libérer immédiatement tous les dirigeants [politiques] issus de la société civile et les autres personnes détenues illégalement », a déclaré de son côté Marise Payne, la ministre australienne des Affaires étrangères.
Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a de son côté « condamné fermement » l’arrestation d’Aung San Suu Kyi. Avec « la déclaration du transfert de tous les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires aux militaires, ces développements portent un coup dur aux réformes démocratiques au Myanmar », a-t-il ajouté.
Ce coup d’État intervient alors que le Parlement issu des dernières législatives devait entamer sa première session ce lundi.
Fraudes alléguées
Les militaires dénonçaient depuis plusieurs semaines plus d’une dizaine de millions de cas de fraudes lors des législatives de novembre, remportées largement par la LND, déjà au pouvoir depuis 2015. Ils exigeaient que la commission électorale dirigée par le gouvernement publie la liste des électeurs à des fins de vérification, ce que la commission n’a pas fait.
Sous prétexte de la pandémie de COVID-19, les élections « n’ont pas été libres ni justes », avait affirmé la semaine dernière le porte-parole de l’armée, le major général Zaw Min Tun. Les craintes avaient encore grandi quand le chef de l’armée, le général Min Aung Hlaing — sans doute l’homme le plus puissant du Myanmar — avait déclaré que la Constitution pouvait être « révoquée » dans certaines circonstances. Selon le communiqué de l'armée, Min Aung Hlaing concentre désormais les pouvoirs « législatif, administratif et judiciaire », tandis qu'un autre général, Myint Swe, a été désigné président par intérim, un poste largement honorifique.
Plus d’une dizaine d’ambassades, dont celle des États-Unis et la délégation de l’Union européenne, avaient alors exhorté le Myanmar à « adhérer aux normes démocratiques », s’inquiétant d’un possible coup d’État. « [Nous] nous opposons à toute tentative de modifier le résultat des élections ou d’entraver la transition démocratique au Myanmar », avaient-elles écrit. Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, avait également exprimé sa « grande inquiétude ».
Le Myanmar est sorti il y a tous justes dix ans d’un régime militaire au pouvoir pendant presque un demi-siècle. Les deux derniers coups d’État depuis l’indépendance du pays en 1948, remontent à 1962 et à 1988.
« Relation compliquée »
Le parti d’Aung San Suu Kyi, très critiquée à l’international pour sa gestion de la crise des musulmans rohingyas, mais toujours adulée par une majorité de la population, avait remporté une victoire écrasante en novembre.
En 2015, la LND avait obtenu une large majorité. Mais elle avait été contrainte à un délicat partage du pouvoir avec l’armée qui contrôle trois ministères clés, soit celui de l’Intérieur, de la Défense et des Frontières.
Longtemps exilée en Angleterre, Aung San Suu Kyi, aujourd’hui âgée de 75 ans, est rentrée au Myanmar en 1988, devenant la figure de l’opposition face à la dictature militaire. Elle a passé 20 ans en résidence surveillée avant d’être libérée par l’armée en 2010.