Déclaration de guerre dans le football européen: la création lundi d'une Super Ligue, lucrative compétition privée fondée par douze clubs dissidents et vouée à supplanter la Ligue des champions, a suscité une levée de boucliers générale parmi les supporters et les instances du ballon rond.
Cette fois, les hostilités sont lancées: après des décennies à agiter le spectre d'un schisme, les cadors du continent, Real Madrid, Liverpool ou Manchester United en tête, ont franchi le pas en créant une société privée, baptisée "Super League", et en lançant préventivement des procédures judiciaires pour assurer le bon lancement du projet face à l'opposition de l'UEFA, organisatrice de la Ligue des champions, la compétition phare du football européen depuis 1955.
Pour la presse européenne, la bataille ne fait que commencer: "la guerre des riches", titre le quotidien sportif français L'Equipe, "c'est la guerre", insiste le tabloïd britannique Daily Express, tandis qu'en Espagne, AS parle d'"une bombe dans le football européen".
Ebranlé par la pandémie de Covid-19, le sport roi en Europe voit remis en cause l'actuel système de redistribution des ressources télévisuelles entre la C1, compétition phare, et les championnats nationaux.
Les clubs rebelles (AC Milan, Arsenal, Atlético Madrid, Chelsea, FC Barcelone, Inter Milan, Juventus, Liverpool, Manchester City, Manchester United, Real Madrid et Tottenham) prétendent instaurer un controversé système de ligue quasi fermée comparable aux championnats nord-américains de basket (NBA) ou de football américain (NFL).
"La saison inaugurale (...) démarrera aussi tôt que possible", ont assuré les clubs fondateurs dans un communiqué, sans fixer de calendrier précis.
"Ressources supplémentaires"
Selon une source ayant connaissance des tractations, le Bayern Munich et le Paris SG ont été approchés. Mais les deux finalistes de la dernière C1 n'ont pas donné suite.
Une autre source, proche des clubs fondateurs, a néanmoins assuré à l'AFP que deux clubs français "au minimum" seraient présents chaque année dans cette Super Ligue, sans préciser l'identité ou le mode de sélection des clubs concernés.
L'une des hypothèses est par exemple que le vainqueur de la Ligue 1 puisse être qualifié.
Côté allemand, le Bayern Munich et Dortmund se sont clairement prononcés contre le projet, a affirmé le patron du Borussia Hans-Joachim Watzke.
La nouvelle compétition, selon ses promoteurs, est vouée à "générer des ressources supplémentaires pour toute la pyramide du football".
"En contrepartie de leur engagement, les clubs fondateurs recevront un versement en une fois de l'ordre de 3,5 milliards d'euros destinés uniquement à des investissements en infrastructures et compenser l'impact de la crise du Covid-19", poursuivent les organisateurs, qui promettent aussi une Super Ligue féminine.
La banque américaine JPMorgan a confirmé lundi qu'elle allait financer le projet.
Si ces revenus mirifiques sont confirmés, ils supposent des recettes bien supérieures à celles obtenues par l'UEFA pour l'ensemble de ses compétitions de clubs (Ligue des champions, Ligue Europa et Supercoupe d'Europe), qui avaient généré 3,2 milliards d'euros de droits TV en 2018-2019, avant une pandémie qui a fortement plombé le marché européen des droits sportifs.
Selon ses promoteurs, la Super Ligue fonctionnerait sous la forme d'une saison régulière opposant 20 clubs: quinze membres de droit (les 12 "clubs fondateurs" cités et trois supplémentaires restant à déterminer) et cinq autres équipes choisies "à travers un système basé sur leur performance de la saison précédente".
Au terme de cette première phase à deux groupes de 10 (18 journées), débutant au mois d'août, des play-offs seraient organisés jusqu'en mai pour décerner le trophée.
Les matches se tiendraient en principe en milieu de semaine, entrant en concurrence directe avec les cases réservées pour la Ligue des champions, mais pas avec les championnats nationaux traditionnellement organisés le week-end.
Menace d'exclusion
Reste à savoir quelles réponses l'UEFA, vent debout, et la Fifa apporteront à cette tentative de sécession, comparable à celle qu'a connu le basketball européen, entre l'Euroligue et la Fiba.
La Fifa "ne peut que désapprouver une Ligue européenne fermée et dissidente", a simplement réagi la fédération internationale lundi.
L'UEFA avait prévenu dès dimanche que tout club dissident serait exclu des compétitions nationales et internationales, et que leurs joueurs ne pourraient plus jouer en équipe nationale, par exemple à l'Euro ou à la Coupe du monde.
Il faudra voir si sa menace est conforme au droit européen de la concurrence, ce qui laisse présager une éventuelle bataille juridique.
D'autant que dans un courrier adressé à Fifa et UEFA et obtenu par l'AFP, les promoteurs de la Super Ligue ont annoncé avoir lancé préventivement "une procédure devant les juridictions compétentes pour assurer l'instauration et le fonctionnement sans accroc de la compétition".
Sollicitée par l'AFP lundi matin, l'UEFA a indiqué qu'il n'y aurait "pas de communication prévue avant la conférence de presse", toujours attendue en début d'après-midi à l'issue de son comité exécutif qui a débuté à 09h00 (07h00 GMT) et devait adopter une réforme de la Ligue des champions à l'horizon 2024 et finaliser la liste des villes hôtes de l'Euro cet été.
En attendant, les prises de positions anti-Super Ligue se sont multipliées, notamment parmi les représentants de supporters.
"Il y a un sentiment de vertige, de trahison, de dépossession. C'est un braquage. Ils font disparaître toute forme d'incertitude sportive, ce qui fait la base de l'attachement à ce sport", a déclaré à l'AFP Ronan Evain, coordinateur du réseau Football Supporters Europe.
Et les responsables politiques ont également fait part de leur inquiétude, à l'image de l'Elysée, qui a fustigé un projet "menaçant le principe de solidarité et le mérite sportif", ou du Premier ministre britannique Boris Johnson.
Margaritis Schinas, commissaire européen en charge de la Promotion du Mode de vie européen (Culture, Education) a pour sa part jugé la Super Ligue contraire aux valeurs européennes de "diversité" et d'"inclusion".
AFP