Les Algériens commémorent aujourd’hui la sinistre journée du 8 mai 1945. Cette date reste gravée en lettres de sang versé par des dizaines de milliers de manifestants pacifiques tués dans des massacres à travers plusieurs villes du pays et qui restent un épisode tragique ayant marqué la politique génocidaire de la France coloniale, mais ils ont constitué, en parallèle, un tournant décisif dans la lutte du peuple algérien pour son indépendance.
A la veille de la commémoration du 70ème anniversaire des massacres du 8 mai 1945, le peuple algérien se souvient toujours de ce génocide commis par le colonialisme contre des Algériens sortis dans la rue pour rappeler à la France ses engagements au lendemain de la seconde guerre mondiale.
Cruauté sans précédent et échec des illusionnistes
Ces massacres demeurent ancrés dans la mémoire collective du peuple algérien, comme cela a été souligné dans les discours officiels dénonçant "la cruauté du colonialisme et ses violations innombrables des droits humains, sans que cela ne soit reconnu par ses auteurs".
Le président Bouteflika avait, dans un message en 2005 à l'occasion dénoncé l'occupation qui "a foulé la dignité humaine et commis l'innommable à l'encontre des droits humains fondamentaux", relevé qu'en parallèle, ces événements avaient "unifié les rangs du peuple algérien et consacré l'effondrement de tous les enjeux à l'exception d'un seul, celui de l'option, inévitable, de l'émancipation et de l'affranchissement".
Le chef de l'Etat avait souligné que la tragédie du 8 mai 1945 "fut l'argument qui a anéanti les illusions de ceux trompés par des promesses d'égalité et d'intégration, confirmant ainsi que les Algériens allaient inévitablement payer un plus lourd tribut", ajoutant que "ce qui arriva quelques années plus tard, avec le déclenchement de la glorieuse Révolution de novembre, dernière halte, décisive, qui a tracé la voie pour les enfants de la patrie et leur devenir".
En 2009, le président Bouteflika avait évoqué les discours des officiels français quant au caractère "prétendument positif" de la France coloniale en Algérie, considérant que ces discours sont "loin de contribuer à rétablir la vérité et rendre justice à l'Algérie pour le mal qu'elle a subi".
Dans son discours de 2012, le président de la République avait, par ailleurs, souligné la nécessité de "procéder à une lecture objective de l'histoire, loin des guerres de mémoire et des enjeux conjoncturels", soulignant que "seule une telle lecture est à même d'aider les deux parties (algérienne et française) à transcender les séquelles du passé douloureux".
Massacres à intention génocidaire et pillage des richesses
Pour sa part, le S.G de l'organisation nationale des Moudjahidine (ONM), Saïd Abadou, avait relevé que les massacres du 8 mai 1945 avaient "hâté la décision des dirigeants du mouvement national de déclencher la guerre de libération du 1er novembre 1954", rappelant que le peuple avait compris, alors, que "ce qui a été pris par la force ne saurait être récupéré que par la force".
Le colonialisme "ne s'est pas arrêté aux massacres, mais il est allé jusqu'au pillage des richesses des pays sous son occupation et l'altération de son identité", avait-il souligné.
Le professeur d’histoire Hassen Remaoun, de l’université d’Oran, n’a pas exclu "une intention de génocide" à propos des massacres du 8 mai 1945, perpétrés par l’armée coloniale dans plusieurs régions du pays.
Dans ce sens, il a rappelé qu’en mai 1945, "il y a eu un massacre des dizaines de milliers de victimes, mené par l’Armée française et qui venait s’ajouter à une multitude d’autres massacres d’Algériens commis depuis 1830 au gré des intérêts et besoins du déploiement colonial".
Sur le récent "voyage mémoriel" du Secrétaire d’Etat français aux anciens combattants à Sétif, quelques semaines avant la commémoration du 70ème anniversaire des massacres du 8 mai 1945 et la symbolique de cette démarche, Hassan Remaoun a expliqué que "ce voyage ne peut, à lui seul, répondre à l’attente d’une reconnaissance des crimes coloniaux commis par les Français en Algérie"à "Il faudrait s’armer de patience et positiver", a-t-il dit, considérant que certes, " +un petit pas+, mais un pas quand même en avant, a été franchi dans cette voie".
Minimisation, recul et refoulement
Faisant le parallèle entre un François Hollande qui condamnait, en décembre 2012 à Alger, "un système colonial injuste et brutal" et celui qui refuse, en avril 2015, d’employer le terme "génocide" pour les crimes coloniaux de la France en Algérie par la France coloniale, le chercheur du CRASC n’y voit pas un "recul" dans la position du président français.
Pour l’heure, Hassen Remaoun se demande "s’il est possible de demander à la France officielle de s’étendre sur un divan pour se laisser analyser. Toutefois, elle a beau essayer de refouler son passé colonial, il lui ressort toujours en plein jour".
Les historiens et enseignants sont unanimes à dire que les massacres du 8 mai 1945, indépendamment de la douleur subie par le peuple algérien, ont été l'étincelle qui a engendré la révolution du 1er novembre 1954, partant de la conviction que ce qui a été pris par la force, sera restitué par la force.
L'administration française a tenté de "minimiser" les massacres abjects qui ont fait 45 000 martyrs en les qualifiant de "non évènement", a déclaré le professeur d'histoire à l'université d'Alger, Amer Rekhila, dans un entretien à l'APS.
Il a précisé que les massacres du 8 mai "ne se sont pas déroulés seulement dans les villes de Sétif, Guelma et Kherrata comme prétendu par le colonisateur mais ont eu également lieu dans 19 villes de l'Est algérien et plusieurs autres du Centre et du Sud pour se poursuivre jusqu'au 25 mai 1945".
Après avoir qualifié les tueries et les déportations d'"extermination collective", il a affirmé que la France qui "se vantait des slogans de liberté et de justice, avait commis des crimes identiques à ceux des nazis et des fascistes de l'époque". Il a évoqué que c'est le parti du peuple algérien (PPA) qui "avait estimé leur nombre à 45000 dans le mémorandum adressé à la Ligue arabe, nouvellement créée alors que l'Association des Uléma algériens en dénombrera 90 000".
La guerre par confusions croisées : l’histoire falsifiée
Le colonialisme français "a falsifié la vérité et trompé l'opinion publique nationale et internationale en déclarant que le nombre des victimes était de 1 200 et en écartant sa préméditation de ne pas porter les personnes décédées sur les registres de l'état civil pour avancer un chiffre erroné".
De son côté, le chercheur universitaire, Mohamed Taybi, a estimé dans un entretien à l'APS, que les évènements du 8 mai 1945 avaient révélé le colonialisme français sous son véritable jour au regard de son "architecture militaire à caractère fasciste" et au "déni de la France à l'égard des combattants algériens qui ont contribué à sa victoire sur le nazisme".
Concernant les tentatives de l'administration française de dissimuler les faits survenus il y a 70 ans, il a affirmé qu'"il ne s'agissait pas uniquement du nombre des martyrs mais aussi de l'impact psychologique, social et économique induit" ce qui démontre, selon lui, que l'objectif était d'atteindre tout un peuple qui a osé revendiquer la liberté à l'instar des autres peuples au lendemain du triomphe des forces alliées lors de la deuxième guerre mondiale".
Rappelant le rôle de ces évènements dans la "prise de conscience nationale", il a qualifié ces derniers de "référence spirituelle de la déclaration du 1er novembre".
De mai 1945 à juin 1946, une année de sang et de feux
D'autre part, l'historien Mohamed Corso a estimé que le terme "massacres" pour décrire ces évènements était "faible", ajoutant qu'il serait pertinent de parler d'"extermination collective".
Le 8 mai 1945, les forces coloniales avaient livré une guerre ethnique aux Algériens en massacrant hommes, femmes, enfants et vieux", a-t-il poursuivi avant de dire que "le massacre n'avait pas duré un seul jour mais toute une année, soit de mai 1945 à juin 1946".
"La presse et les rapports des autorités coloniales évoquaient un retour au calme en juin 1946", a-t-il encore avancé.
L'ancien président de la fondation 8 mai 1945 avait demandé des "excuses" à la France, rappelant que le président Jacques Chirac avait présenté durant son mandat les excuses de son pays au peuple juif pour les évènements survenus du temps du Maréchal Pétain.
Les vérités des Jacques Verges, Gilles Manceron et Olivier Le Cour Grandmaison
Par ailleurs, des Français joignent aussi leur voix pour dénoncer les massacres du 8 mai 1945, tel l'avocat Jacques Verges qui a affirmé en 2010 lors d'une rencontre pour la présentation de son livre "La passion de défendre", que la France continuait à ce jour de cacher la vérité de ce qui s'est passé à Sétif, Guelma et Kherrata.
Gilles Manceron, l'historien français avait déclaré, lors d'une rencontre à Guelma en 2011, que les massacres du 8 mai 1945 en Algérie devraient être reconnus comme "crime contre l'humanité".
Le jour marquant la fin de la Seconde guerre mondiale est aussi celui où l'Etat français a réprimé dans le sang l'une des premières manifestations pacifiques pour l'Algérie libre, a regretté l'universitaire français Olivier Le Cour Grandmaison dans une contribution parue sur son blog sur les massacres du 8 mai 1945, perpétrés par l'armée coloniale dans plusieurs régions du pays.
"Une seule et même date. Deux histoires diamétralement opposées en même temps liées l'une à l'autre", a fait remarquer ce politologue, spécialiste des questions de citoyenneté sous la révolution française et des questions qui ont trait à l'histoire coloniale, mettant en avant ce "passé toujours occulté".
Pour recouvrer son autorité en Europe et dans le monde "la France libre est prête à tout pour défendre l'intégrité de son empire", a-t-il soutenu.
Pour cet universitaire, "une barbarie coloniale sans précédent (s'est déchaînée) pour tenter de stopper les Algériens qui ont osé manifester pacifiquement".
Le déchaînement de la violence et de la terreur d'Etat avec son cortège de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité témoigne de l’horreur de la colonisation, regrette-t-il.
En optant pour le massacre des populations, la France coloniale a oublié également "les fondements philosophiques, politiques et juridiques, plus tard sanctionnés par la Déclaration universelle des droits de l'homme, votée par l'Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948 à Paris, et son article 2 relatif aux droits dont + chacun peut se prévaloir+ sans +distinction de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion et d'opinion politique", a-t-il observé.
Cependant, dans les colonies de la France républicaine, ces principes ne s'appliquent pas.
Les massacres du 8 mai 1945 "témoignent une fois encore que la force a primé les droits, aussi fondamentaux soient-ils, dès que le visage de l'autre épouse les traits du +musulman + ici, du + Noir+ ailleurs et de +l'Indochinois+ bientôt", a-t-il conclu.
Message du Président Bouteflika à l'occasion du 70ème anniversaire de 8 mai 1945
Le Président de la République, Abdelaziz Bouteflika, a adressé un message à l'occasion du 70ème anniversaire des massacres du 8 mai 1945. Voici la traduction APS :
Mesdames, Messieurs,
Soixante dix ans se sont écoulés depuis les massacres perpétrés par l'occupant français, le 8 mai 1945, contre le peuple algérien, mais le souvenir douloureux de ces crimes est encore vif dans la mémoire collective nationale.
Chaque année, nous commémorons ces tragiques événements et les souffrances que notre peuple a endurées pendant plus d'un siècle et qui nous rappellent, à chaque anniversaire, qu'ils furent à l'origine du grand sursaut du peuple algérien vers l'affranchissement du joug colonial, dont la consécration vînt avec la glorieuse révolution de 1954.
C'est l'une des étapes les plus douloureuses de notre histoire tant les faits qui l'ont marquée allaient à contre sens de l'histoire, de la raison et de l'humanisme.
La seule faute dont le peuple algérien s'était rendu coupable alors était qu'il sortît, à l'instar des autres peuples du monde, célébrer la fin du nazisme et du fascisme qui avaient altéré les relations entre les Etats et les peuples.
Notre peuple dont les enfants ont été entraînés dans le tumulte de la seconde guerre mondiale pour défendre la liberté de la France et du monde libre, aspirait lui aussi à jouir de la liberté, un droit légitime et commun à l'humanité, car ayant versé son tribut de sang dans cette guerre qui lui a été injustement imposée.
Mais son soutien aux alliés sera récompensé par le fer et par le feu notamment à Sétif, Guelma, Kherrata et Skikda où plus de 45.000 Algériens ont été assassinés.
Ce n'était pas un fait inédit. La France s'était déjà distinguée par des massacres d'Algériens et en a perpétré d'autres, par la suite, non moins barbares.
L'occupant pensait qu'avec les massacres du 8 mai 1945, qu'il avait définitivement bridé la volonté du peuple algérien d'arracher sa liberté et de recouvrer sa souveraineté, mais l'histoire ne lui donnera pas raison car le peuple algérien avait réduit à néant toutes ses espérances et contré ses visées.
En effet, moins de dix ans après, l'Algérie tout entière se souleva avec son avant-garde nationale et s'engagea dans sa glorieuse révolution de libération qui a corrigé le cours de l'histoire au prix de sacrifices incommensurables.
Mesdames, Messieurs,
Le parcours militant de notre peuple, ses immenses sacrifices ont balisé la voie que nous avons adoptée au lendemain de l'indépendance, et dont nous ne dévierons point, pour l'édification de nos institutions, la réalisation de notre développement et la mise en place des fondements de notre civilisation en nous appuyant sur les constantes de notre identité nationale.
Un legs riche de réalisations et d'acquis incontestables qu'il nous incombe de défendre et de sauvegarder en nous dotant notamment d'une économie forte et en inculquant aux générations montantes les valeurs du travail et du nationalisme.
Les jeunes Algériens sont investis d'une énorme responsabilité, celle de défendre ces acquis et ces réalisations en mettant en oeuvre toute leur volonté et leur ambition, tout en demeurant vigilants face aux bouleversements qui secouent le monde et qui affectent de nombreux pays de notre région.
L'Algérie qui, grâce à Dieu et grâce à la détermination de ses hommes et de ses femmes, a pu sauvegarder sa stabilité, sa sécurité et sa souveraineté, milite en faveur d'un monde de paix et de stabilité notamment dans son environnement arabo-africain.
Elle déploie, à cet égard, de sérieux efforts pour apporter des solutions aux conflits et unifier les rangs afin que la paix et la stabilité règnent dans notre espace au profit des peuples de la région.
Nous restons convaincus que les enfants de notre peuple sauront conjuguer leurs efforts en faveur de l'ancrage des valeurs de démocratie et de justice sociale, de l'approfondissement des principes de liberté individuelle et collective et de la promotion de la femme en s'attelant au travail dans tous les domaines de développement afin de se prémunir des crises économiques et financières qui marquent les relations entre les pays.
Mesdames, messieurs
En ce douloureux anniversaire où nous nous inclinons à la mémoire de nos glorieux chouhada, j'appelle notre peuple, les jeunes particulièrement, à faire preuve de sagesse et à s'armer de volonté pour être en mesure de relever les défis en veillant à préserver l'unité nationale pour mieux appréhender l'avenir dans le respect du serment fait à nos vaillants martyrs de défendre jalousement la souveraineté et l'indépendance de l'Algérie.
Gloire à nos martyrs.