Le Blues en deuil : Le King est mort vive le roi

B.B King et ses guitares au nom de Lucille se sont enfin séparés. La mort les a forcés à se quitter après 60 ans de « mariage en Blues ». B.B. King est mort jeudi 14 mai, à Las Vegas (Nevada), a annoncé son avocat, vendredi 15 mai, dans un communiqué diffusé par l’agence Associated Press.

Agé de 89 ans, B. B King avait été hospitalisé en avril à la suite d’un malaise et était soigné depuis début mai à son domicile, en raison de complications de son diabète.

Sa double initiale B. B., pour Blues Boy, lui avait été donnée à la fin des années 1940, lorsqu’il animait un court programme hebdomadaire dans une radio de Memphis (Tennessee). Et son nom de naissance, King, le roi, peut être vu comme ayant été un signe favorable à son destin. B. B. King était probablement le musicien de blues le plus célèbre dans le monde, un « ambassadeur » du genre.

Avec quinze Grammy Awards depuis 1971 et un doctorat honorifique de la Yale University (New Haven, Connecticut) en 1977, il était considéré comme un artiste de première importance culturelle et avait été récompensé comme tel par des présidents des Etats-Unis (Bill Clinton lui remet les prestigieux Kennedy Center Honors en 1995, George W. Bush accroche à son cou, en 2006, l’ordre le plus élevé pour un civil, la Presidential Medal of Freedom)… Ce ne sont que quelques-uns des honneurs décernés à celui dont le quotidien, alors qu’il était encore enfant, consistait à ramasser le coton et à travailler dans les champs.

Riley Ben King est né le 16 septembre 1925 à Itta Bena, une plantation à quelques kilomètres à l’est de la ville d’Indianola (Mississippi). Sa mère est alors âgée de 18 ans, son père guère plus. Elle partira à Kilmichael, à une petite centaine de kilomètres, avec son fils quatre ans plus tard. Elevé par sa grand-mère et par sa mère, B. B. King n’a que 9 ans lorsque cette dernière meurt. Son environnement musical est constitué de chants de travail et du gospel qu’il entend à la maison et à l’église. En 1943, devenu ouvrier agricole, il est appelé sous les drapeaux. Les propriétaires de plantations ayant passé un arrangement avec l’armée pour récupérer rapidement leurs employés, son service militaire, durant lequel il découvre le jazz, est écourté. Avec une guitare, dont il a appris les rudiments, il commence à chanter et à jouer dans la rue, lors de ses jours (et nuits) de congé.

En mai 1946, B. B. King part pour Memphis, décidé à vivre dorénavant de la musique. Il aurait pu choisir de partir au sud, à New Orleans, berceau musical du jazz, ou au nord, à Chicago, capitale du blues urbain. Mais il n’y connaît personne, alors qu’à Memphis réside un cousin, Bukka White (1909-1977), guitariste et chanteur. Après neuf mois, en dépit des contacts et de l’aide de Bukka White, faute d’avoir percé, il repart travailler sur une plantation. Puis retourne à Memphis à la fin 1948. Cette fois, il trouve un engagement quotidien dans un club et un passage hebdomadaire dans une station de radio, WDIA, pour laquelle Il interprète deux ou trois morceaux et des refrains pour des publicités, et annonce ses concerts à venir.

C’est peu de temps après que B. B. King va baptiser ses guitares du nom de « Lucille ». Un soir dans un club de l’Arkansas, une bagarre entre un homme et sa femme, prénommée Lucille, provoque un incendie. B. B. King sort en courant, pour s’apercevoir qu’il a oublié sa guitare, son seul instrument alors et son gagne-pain. Il retourne dans le club en feu, récupère l’instrument. Trop heureux de ce sauvetage, il décide alors de donner ce prénom à ses guitares. Lesquelles – des premières Fender et Gretsch de ses débuts, au modèle ES-355 de Gibson qu’il adopta définitivement à la fin des années 1950 – eurent droit à une composition en 1968 dans l’album du même nom, où est racontée l’anecdote.

Jusqu’à la fin 1951, B. B. King verra grandir sa réputation entre des concerts dans différents lieux de la ville, ses passages à la radio et de premiers enregistrements, pour Bullett puis RPM, l’un des labels d’une importante compagnie phonographique californienne à l’époque, Modern Records, dirigée par les frères Bihari (Lester, Julius, Saul et Joseph). Le succès arrive à la fin de l’année 1951, avec la parution d’une reprise par B. B. King de Three O’Clock Blues de Lowell Fulson (1921-1999). L’interprétation de B. B. King va rester dans le haut des classements des meilleures ventes de disques de rhythm’n’blues durant dix-sept semaines, dont cinq en numéro 1. B. B. King en fera l’un de ses thèmes fétiches, le jouant régulièrement en concert et le réenregistrant à plusieurs occasions.

Rapidement, la fratrie Bihari, et plus particulièrement Julius, qui va superviser dans les années qui suivent la plupart des enregistrements de B. B. King, font repartir le guitariste et chanteur en studio. Après quelques titres qui ne restent pas mémorables, son deuxième gros succès, à l’automne 1952 (dix-huit semaines dans le haut des classements), You Know I Love You, est une ballade, dans laquelle c’est la voix du chanteur qui domine avec un accompagnement où le piano prend le pas sur la guitare. Les producteurs de King s’efforcent de développer cette option de crooner, mais son public reste attaché à sa part blues.

C’est généralement avec la chanson Blind Love, enregistrée en juin 1953, que les spécialistes du blues identifient l’affirmation du style de B. B. King à la guitare que Sébastien Danchin résume ainsi : « le véritable prolongement de sa voix ». A cela s’ajoute une section de vents, qui donne de l’ampleur à l’orchestre, souvent restreint dans le blues à une rythmique pour accompagner le soliste. Cette présence des vents sera caractéristique de la plupart des formations de B. B. King.

Les succès se suivent alors : Please Love Me (1953), You Upset Me Baby (1954), Everyday I Have The Blues (1955, qui va devenir un autre de ses thèmes de prédilection, souvent joué en ouverture de ses concerts, comme Let The Good Time Roll), Bad Luck (1956), Sweet Little Angel (1956), Sweet Sixteen (1960)… De quoi faire de B. B. King, au milieu des années 1950, le plus important vendeur de blues – un statut qu’il conservera pour longtemps.

Il se produit en concert au moins six jours sur sept. Au cours des années, il pourra renégocier à la hausse son contrat avec les frères Bihari – qui font passer King de RPM Records à Kent, un autre de leurs labels, en 1958. Il a droit à des arrangeurs, ses enregistrements sont de plus en plus soignés. En tournées, à sa quinzaine de musiciens réguliers s’ajoutent médecin, avocat, chauffeurs, valet de chambre, costumier, bagagiste…

 

Culture, Musique