Près de 2.000 personnes ont de nouveau manifesté mercredi soir à Al-Hoceïma, ville du nord du Maroc, pour exiger la libération de Nasser Zefzafi, leader de la contestation populaire qui secoue la région depuis sept mois.
Pour la troisième nuit consécutive, les protestataires ont battu le pavé dans le quartier de Sidi Abed, aux cris de "Nous sommes tous Nasser Zefzafi!", selon l'agence française AFP.
Les forces anti-émeutes s'étaient positionnées ce soir en retrait du quartier, investi par les manifestants après la rupture nocturne du jeûne du ramadhan.
Comme la veille, beaucoup brandissaient des portraits photocopiés de leur icône, des drapeaux multicolore amazigh (berbère), ou encore une banderole barré d'un "Arrêtez-nous, nous sommes tous des activistes".
Ils étaient moins nombreux que mardi, même si la manifestation semblait mieux organisée, avec des volontaires en gilet fluo canalisant la foule, et des femmes mises en premier plan.
Micro en main, trois jeunes femmes ont harangué la foule pour exiger la "libération des prisonniers". "Résistez jusqu'à la victoire", a lancé l'une d'entre elle, Nawal Benaissa, qui a appelé à une "grève générale de trois jours".
"Etat corrompu", "Dignité pour le Rif", "Pacifique, pacifique!", clamaient les protestataires, des slogans récurrents depuis le début du "hirak" (la mouvance, nom donné au mouvement qui anime la contestation).
Le rassemblement s'est dispersé peu avant minuit sans incident. Leader de la contestation populaire qui secoue depuis octobre la région du Rif, Nasser Zefzafi a été interpellé lundi matin par la police pour "atteinte à la sécurité intérieure".
Depuis la diffusion vendredi d'un mandat d'arrêt le visant, Al-Hoceïma, une ville de 56.000 habitants, est en effervescence, même si l'activité y reste calme -ramadhan oblige- en journée.
Des heurts nocturnes avaient opposé manifestants et policiers pendant le week-end. Lundi et surtout mardi soir, des milliers d'habitants sont descendus dans les rues du quartier de sidi Abed, cette fois sans violence.
Depuis ce weekend, des manifestations ont été signalées ailleurs dans la province, notamment à Imzouren et Beni Bouyaach, mais il est pour l'heure difficile d'en cerner l'exacte importance.
Des sit-in de "solidarité" ont également eu lieu dans d'autres villes du nord, comme Tanger et Nador, ainsi qu'à Rabat et Casablanca mardi, où ils ont été dispersés sans ménagement par la police.
La police a procédé depuis vendredi à une quarantaine d'arrestations, visant essentiellement le noyau dur du "hirak", selon un dernier décompte officiel.
Vingt-cinq d'entre elles ont été déférées devant le parquet. Leur procès s'est ouvert mardi mais a été reporté au 6 juin, à la demande de leurs avocats qui ont dénoncé des "mauvais traitements" pendant leur détention.
Le ministère de l'Intérieur a publié mercredi soir un appel à la "vigilance" face aux informations officielles qui lui sont faussement attribuées sur les réseaux sociaux et messageries instantanées.
Toujours sur les réseaux sociaux, une nouvelle vidéo de Zefzafi a été mise en ligne, filmée apparemment peu avant son arrestation, où il déclare: "Mes frères, le moment est très sensible (...). Si je suis arrêté, c'est que j'ai vaincu l'Etat makhzénien (...). Restez pacifique, par dessus-tout".
Souvent cité comme le numéro 2 du "hirak", Najib Ahamjik, actuellement en fuite, a lui aussi mis en ligne une nouvelle vidéo.
Les manifestations de ces trois derniers jours ont montré que le "hirak" conserve jusqu'à présent, malgré les arrestations, une capacité de mobilisation et d'organisation, avec l'émergence de nouveaux visages.
Les médias publics font pour le moment une couverture minimale des évènements. La télévision d'Etat a été mise en cause pour avoir utilisé des images d'archives d'affrontements entre supporters de football en illustration d'un sujet sur le "hirak".
Selon le site d'info en ligne Le Desk, "faux leaks et images tendancieuses" -notamment des clichés privés de Zefzafi- abondent désormais sur le net, ainsi que diverses accusations et "révélations", comme ses prétendus "liens avec des barons de la drogue".
La classe politique reste de son côté très discrète. Les antennes provinciales à Al-Hoceïma de trois partis, dont le PJD islamiste, ont publié un communiqué commun s'alarmant d'une "situation grave" et désapprouvant "l'approche sécuritaire de l'Etat". Mais leur direction nationale reste pour le moment silencieuse.
Le Mouvement populaire (MP), un petit parti de la majorité, a dit soutenir les revendications du "hirak", tout en mettant en garde contre les risques "d'instrumentalisation".