Le Président Tebboune au quotidien français l'Opinion : L'Algérie et la France pourront avancer une fois les problèmes de mémoire dépassés

Le Président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a indiqué lundi,  dans une interview accordée au quotidien français l'Opinion, que l'Algérie et la France pourront avancer avec "beaucoup de sérénité", une fois les problèmes de la mémoire dépassés, soulignant l'importance d'affronter les "évènements douloureux" du passé pour repartir sur des relations profitables aux deux pays.

"L’Algérie est incontournable pour la France et la France l'est pour l'Algérie.

Il faut affronter ces évènements douloureux pour repartir sur des relations profitables aux deux pays, notamment au niveau économique.

La mémoire ne peut être estompée et nous ne pouvons pas en faire ce que nous voulons", a déclaré le Président Tebboune, rappelant que la remise récente des restes mortuaires des chefs de la Résistance populaire contre la colonisation française "constitue un grand pas".

Soulignant que d'autres crimes et massacres perpétrés par la machine coloniale "méritent d’être racontés", le chef de l'Etat a indiqué que "beaucoup d’historiens français traitent ces évènements historiques en toute honnêteté".

Il a cité, à ce propos, l’historien Benjamin Stora qui a été nommé pour accomplir ce travail mémoriel du côté français.

"Il est sincère et connaît l’Algérie et son histoire, de la période d’occupation jusqu’à aujourd’hui.

Nous allons nommer son homologue algérien dans les 72 heures.

Ces deux personnalités travailleront directement sous notre tutelle respective.

Nous souhaitons qu’ils accomplissent leur travail dans la vérité, la sérénité et l’apaisement pour régler ces problèmes qui enveniment nos relations politiques, le climat des affaires et la bonne entente", a soutenu le Président de la République.

Revenant sur l'entretien téléphonique qu'il a eu jeudi dernier avec son homologue français, Emmanuel Macron, et dans lequel les questions mémorielles ont été abordées, le Président Tebboune a indiqué que le Président Macron "connaît bien les évènements qui ont marqué notre histoire commune", ajoutant qu'une fois "ces problèmes de mémoire dépassés, nous pourrons avancer avec beaucoup de sérénité".

"Il existe une coopération humaine, scientifique et économique entre les deux pays.

La France vient de perdre sa première place de pays fournisseur de l’Algérie, mais ce n’est pas irréversible.

Nous avons aussi une très forte communauté en France que nous voulons également servir et préserver", a ajouté le chef de l'Etat, soulignant, toutefois, que "les Algériens tiennent beaucoup plus à la reconnaissance de l’Etat français de ses actes qu’à une compensation matérielle".

"La seule compensation envisageable est celle des essais nucléaires" dont "les séquelles sont encore vives pour certaines populations, notamment atteintes de malformations.

Et certains sites n’ont toujours pas encore été traités", a-t-il dit.

Concernant la crise en Libye, le Président Tebboune a indiqué que "la Libye nous a aidés pendant la guerre de libération en accueillant sur son sol des moudjahidin.

Il est de notre devoir de lui porter secours", estimant que cela "peut déplaire aux pays qui agissent au nom de leurs intérêts économiques", mais "le jeu de gagne-terrain militaire n’est pas la solution".

Tout en réaffirmant la disponibilité de l’Algérie d'accueillir sur son sol des pourparlers sous l’égide des Nations-Unies", le Président de la République a affirmé que les Libyens "veulent la paix" et qu'il faut travailler sur "une nouvelle feuille de route menant à des élections apaisées d’ici deux à trois ans, sous la supervision de l’ONU et d’un gouvernement de transition issu d’un consensus national".

Il a ajouté que le rétablissement de la stabilité de la Libye "est un enjeu de sécurité nationale", soulignant que "nous sommes preneurs de toutes les actions qui peuvent permettre d’obtenir un cessez-le-feu, mais le cessez-le-feu n’est que le début de la solution", assurant que les pays voisins (Algérie, Tunisie et Egypte) "sont le plus à même d’aider ce pays (Libye) à retrouver le chemin de la paix".

A propos de la crise au Mali, le président de la République a indiqué que l'Algérie entretient avec ce pays une relation "très proche", soulignant que "la déstabilisation totale du Mali aurait des incidences sur notre pays".

Rappelant qu'à la conclusion des accords de paix d’Alger, le phénomène terroriste "n’était pas aussi répandu", le Président Tebboune a fait savoir qu'"aujourd'hui, il y a entre 20.000 et 25.000 terroristes actifs entre le Mali, le Burkina-Faso et le Niger", tout en précisant qu'"il faut bien sûr régler cette question, mais surtout trouver des solutions politiques qui garantissent l’intégrité territoriale du pays".

Concernant les relations algéro-marocaines, le président Tebboune a indiqué qu'"il y a toujours eu une surenchère verbale et politique entre nos pays.

Mais nos peuples sont frères et se ressemblent".

"Nous avons une longue histoire commune et sommes voisins.

Nous sommes condamnés à vivre ensemble.

En ce qui nous concerne, nous n’avons aucun problème avec le Maroc et sommes concentrés sur le développement de notre pays", a-t-il dit, ajoutant que "nos frères marocains ne semblent pas être dans le même état d’esprit".

Le Président de la République a souligné que "la construction de bases militaires à nos frontières est une forme d'escalade qui doit s'arrêter".

"Pour eux (Marocains), la République arabe sahraouie est de trop sur l’échiquier international.

C’est à eux d’engager le dialogue avec le Polisario.

Si les Sahraouis acceptent leurs propositions, nous applaudirons.

Nous avons toujours soutenu les mouvements indépendantistes comme celui du Timor Est.

C’est presque dogmatique".

En réponse à une question sur la possibilité d’envoyer des soldats algériens à l’étranger, le Président de la République a indiqué que "l’Algérie est un pays pacifiste, mais nos troupes pourront s’engager dans des opérations de maintien de la paix sous l’égide de l’ONU, de l’Union africaine et de la Ligue arabe, notamment au Mali ou dans d’autres pays africains".

Cependant, a-t-il précisé, "elles ne pourront pas sortir sans obtenir l’aval et le contrôle du Parlement.

Nous avons déjà participé à des missions techniques onusiennes au Tchad ou encore de délimitation de frontières".

La situation financière de l'Algérie lui permet d'accomplir "sereinement" les réformes

Par ailleurs, le Président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune, a assuré que la situation financière de l'Algérie, avec des réserves de change encore appréciables et une meilleure maîtrise des dépenses et des importations, lui permettra d'accomplir "sereinement" les réformes escomptées.

Soulignant que le pays détenait actuellement 58 milliards de dollars de réserves de change, en plus de 27 milliards de dollars d'apports annuels des hydrocarbures prévus cette année, le président Tebboune a affirmé que cette situation permettrait au pays d'accomplir "sereinement" les réformes.

Cela "nous permet d’accomplir les réformes sereinement.

Nous avons combattu la grande corruption.

La surfacturation nous coûtait des dizaines de milliards par an.

Et nous avons réduit le train de vie de l’Etat et de ses entreprises publiques.

Ces économies devraient représenter 20 à 21 milliards de dollars à la fin de l’année", a-t-il argué.

Reconnaissant que la situation économique en Algérie demeurait tout de même "difficile", en raison du "bradage" et du "détournement" des ressources nationales dans le passé, M. Tebboune a estimé nécessaire, face à cette situation, aggravée par la crise sanitaire, d'aller vers une réforme économique basée sur une meilleure gestion des ressources et une génération des plus-values.

"La relance de l’économie nous permettra d’accomplir les réformes politiques et démocratiques", a-t-il soutenu.

Il a, dans ce cadre, réitéré l'engagement du pays à exploiter de nouveaux gisements miniers dont celui de fer de Ghara Djbilat (Tindouf) et celui de zinc à Oued Amizour (Bejaia).

"Cela nous permettra de réduire nos importations d’acier et d’autres produits dérivés mais aussi d’exporter de la matière première", a-t-il souligné en faisant part de la détermination de l'Algérie de substituer autant que possible les importations par de la production locale afin de créer des plus-values, y compris dans le domaine des hydrocarbures.

"Nous voulons réaliser plus de valeur ajoutée dans la chaîne automobile, l’agriculture et l’agroalimentaire et l’industrie lourde", a-t-il poursuivi, en rappelant l'autorisation, dans le cadre de la loi de finances complémentaire de 2020, de l’importation d’usines de moins de cinq ans.

Il a, dans le même cadre, rappelé la relance du projet du port d’El-Hamdania, à Tipaza, en partenariat avec la Chine, un projet qui permettra, dit-il, de ravitailler le pays et les pays enclavés d’Afrique.

Il a également évoqué le projet de la prolongation du chemin de fer vers le Mali et le Niger pour offrir une voie alternative au transport par route, via la transsaharienne, ce qui permettra de développer la filière sidérurgie à travers la production de rails.

L'ouverture du capital d'entreprises publiques sera étudiée en cas de nécessité

A la question de savoir si l'Algérie "comptait" sur les entreprises françaises pour développer son économie, M. Tebboune, en rappelant que plus de 450 entreprises françaises opéraient en Algérie, a estimé que ces entreprises "sont appelées à jouer leur rôle dans la nouvelle Algérie".

Il a fait observer que la France venait de perdre sa place de premier pays fournisseur de l’Algérie.

Mais "ce n’est pas irréversible", a-t-il estimé en soulignant l'existence d'une très forte communauté algérienne en France "que nous voulons également servir et préserver".

Faisant remarquer que beaucoup d’unités de production étaient en train de mettre la clé sous la porte en Europe, M. Tebboune a estimé que ces entreprise "peuvent avoir une seconde vie en Algérie".

"Notre objectif est de fabriquer des produits finis", a-t-il précisé en rappelant l’abrogation de la règle 51-49 ce qui permettra, selon lui, d’attirer de nouveaux investissements.

Il a même avancé la possibilité, en cas de nécessité, d'étudier l'ouverture du capital de certaines entreprises publiques.

"Nous étudierons, si nécessaire, l’ouverture du capital de certaines entreprises publiques", a-t-il avancé.

Et pour rassurer davantage les investisseurs, l'Algérie compte interdire toute réglementation d’une durée de vie de moins de dix ans, a-t-il encore avancé, en regrettant le fait que l’instabilité des réglementations "a déjà nui à l’essor des activités".

Interrogé, d'autre part, sur le motif du dernier remaniement ministériel, M. Tebboune a expliqué que ce changement a été dicté par le besoin d'avoir "davantage d'expérience" dans des secteurs vitaux comme les hydrocarbures ou l'Agriculture.

"Le rajeunissement du gouvernement figurait parmi mes promesses de campagne.

Les jeunes ministres sont au travail et donnent satisfaction.

Pour certains secteurs vitaux, comme les hydrocarbures, les mines et l’agriculture, il fallait davantage d’expérience", a-t-il argué.

L’objectif principal, soutient-il, étant de valoriser toutes ses ressources alors que le pays a perdu 60% de ses revenus pétroliers. APS

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