Les manifestations du 11 décembre 1960 ont été un véritable tournant dans la lutte pour la libération de l’Algérie, rendant la voix du peuple plus audible au niveau international et invalidant définitivement les thèses des défenseurs d'une Algérie française.
Cet événement historique qui a marqué la mémoire des hommes s’est déroulé dans un contexte particulier, à quelques jours seulement de la date à laquelle l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU) devait étudier la question algérienne, une séance programmée pour le 19 du même mois.
Le chef de l’Etat français, le général Charles de Gaulle prévoyait une visite en Algérie qui devait s'étaler du 9 au 12 décembre, au moment où les organisations extrémistes françaises appuyées par des unités de l’armée projetaient d’organiser des manifestations en faveur d’une " Algérie française ".
Un message qui devait être adressé principalement au général de Gaulle qui, persuadé de l’inévitable victoire de la révolution algérienne, parlait désormais de paix des braves et de réformes.
Le 9 décembre, à Ain Temouchent, première escale du général, des extrémistes européens organisent une manifestation pour exprimer leur rejet de toute initiative visant à améliorer les conditions de vie des Algériens.
Mais ils sont surpris en voyant des manifestants algériens occuper la rue criant leur ras-le-bol et exigeant l’indépendance du pays. " Algérie Algérienne " et " Algérie musulmane " sont les principaux slogans répétés par les manifestants algériens.
Le lendemain, à Alger, du côté de la rue d’Isly, future rue Larbi Benmhidi, des affrontements opposaient des Algériens habitant les quartiers pauvres de la ville et des Européens.
Ce n'était en réalité que le premier d'une série d'affrontements à venir. En fin d’après-midi, sous une pluie battante, des milliers de personnes, drapeaux algériens en main font vibrer la rue Mohamed Belouizdad (ex-rue Belcourt).
Quelque chose d'inattendu était en train de se produire sous les yeux des colons et des forces de sécurité coloniales.
Personne n'ignorait la soif de liberté du peuple algérien mais on n'avait visiblement pas encore pris la mesure de sa détermination.
Pris de panique, colons, gendarmes et militaires tentent de s'organiser pour faire face à ce soulèvement populaire qui allait redonner un nouveau souffle à la révolution.
Pendant la durée des manifestations, les colons n'hésitent pas à utiliser leurs armes, appuyés, notamment, par les parachutistes du 18 ème régiment.
A Belouizdad, dès l'arrivée des premiers manifestants, deux hommes et un enfant sont tués par les balles d'un colon perché sur un immeuble. D'autres victimes suivront.
Drapeaux algériens brandis bien haut, les manifestants poursuivent leur marche encouragés par les youyous stridents des femmes. Ils marquent le pas en voyant plus bas, dans la rue, une armée de casques bleus luisant sous la pluie.
Des centaines de gendarmes venaient de leur barrer la route. Mais l'on s'aperçoit très vite que la foule nombreuse qui occupe la rue n'était en fait que l'avant-garde d'une véritable armée de manifestants.
Bientôt, des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants déferlent depuis le quartier Salembier (El Madania) sur les hauteurs d'Alger.
Les gendarmes qui redoutent de perdre le terrain appellent des renforts, et ce sont des militaires lourdement armés et renforcés par des véhicules blindés qui viennent à la rescousse.
La confusion qui suivra ce face-à-face sera totale. Des coups de feu sont tirés, des incendies déclenchés et des colonnes de fumée s'élèvent au-dessus de la ville où le son des sirènes des ambulances et des pompiers étaient incessants.
Le 11 décembre, au matin, la pluie tombe toujours.
La nuit a été longue et, du côté français, on espérait que la volonté populaire fléchisse.
Mais c'est tout le contraire qui allait se produire. A la Casbah, des milliers de personnes occupent la rue. Les gendarmes tentent de les contenir en bloquant les accès de la vieille cité. Ils sont bientôt rejoints par les parachutistes qui prennent position derrière eux.
A Belouizdad et à El Madania les manifestations se poursuivent. A Bab El Oued, de violents affrontements éclatent entre Algériens et Européens. Ces derniers tirent à vue.
Bientôt d'autres affrontements tout aussi violents éclatent à dans d'autres quartiers de la ville. Les militaires et les colons tirent sans hésiter visant la tête et la poitrine. Un véritable carnage se produit. Mais les tireurs sont surpris par la détermination des Algériens qui n'abandonnent pas, hurlant leur colère rendant coup pour coup lorsqu'ils le pouvaient, défiant la mort et rompant définitivement avec la peur.
Une victoire retentissante
Colons, gendarmes et parachutistes renforcés par des soldats venus de différentes régions du pays ne semblent pas comprendre ce qui se déroulait sous leurs yeux.
Ailleurs dans le monde, l'Algérie capte l'attention. L'on s'interroge, effaré ou simplement gêné par ce qui était en train de se passer dans les rues algériennes.
Ce n'était plus uniquement une guerre contre une puissance coloniale à laquelle on était témoin, mais une lutte contre des criminels de guerre.
Très rapidement d'autres villes du pays débordent. A Blida, Oran, Chlef, Annaba, Constantine et ailleurs, la foule sort, défie l'armée coloniale exige la liberté.
Les manifestations durent une semaine et comme à Alger des manifestants sont tués.
Selon les rapports d'autopsie de l'époque, la plupart des victimes sont tuées par des balle de révolver, ceux des colons.
A l'époque, les autorités françaises estiment le nombre de mort à 120, dont 112 Algériens.
Aujourd'hui, ces chiffres sont contestés. On parle à présent d'au moins 200 morts du côté algérien.
Les cris des Algériens appelant à l'indépendance et leurs slogans favorables à une Algérie indépendante ont résonné jusqu'à l'intérieur du siège de l'Organisation des Nations unis dont les membres ont définitivement compris de quel côté se tenait le peuple.
Le 19 décembre 1960, comme prévu, l’Assemblée générale de l'ONU vote la résolution 1573 reconnaissant au peuple algérien son droit "à la libre détermination et à l'indépendance".
Un triomphe pour les Algériens qui, depuis le début de la guerre de libération, avaient payé le prix fort au maquis comme dans les villes.
A partir de cette date, des pays membres de l'ONU y ont vu plus clair dans la question algérienne.
La détermination du peuple algérien avait forcé le respect et sa ténacité avait ouvert la voie à ses représentants pour être plus audibles auprès des nations.
Des hommes comme M'hamed Yazid, Lamine Debaghine, Mohamed-Seddik Benyahia et bien d'autres qui avaient pour charge de faire entendre la voix du peuple algérien à l'étranger ont réalisé des avancées considérables précisément grâce aux manifestations du 11 décembre 1960.
Des manifestations qui ont changé le cours de l'histoire.