Le secrétaire d'Etat auprès du ministre français de la Défense, chargé des Anciens combattants et de la Mémoire, Jean-Marc Todeschini, a inscrit samedi son "voyage mémoriel" en Algérie dans une démarche résolue d'appréhender de "manière apaisée la mémoire commune" des deux pays, "appelés à se tourner ensemble vers l'avenir".
M. Todeschini, qui arrivera à Alger demain dimanche et sera présent le 8 mai à l'occasion du soixante-dixième anniversaire des massacres de Sétif, Guelma et Kherrata a déclaré dans un entretien à l'APS que le "dépôt, à Sétif, de la gerbe au mausolée de la première victime de ces massacres était un geste "fort" et "concret" qui "viendra s'ajouter à la parole" prononcée par le chef de l'Etat français lors de son voyage à Alger en décembre 2012.
"Pendant 132 ans, l'Algérie a été soumise à un système profondément injuste et brutal. Je reconnais ici les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien. Parmi ces souffrances , il y a les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata" avait affirmé le président Hollande pour qui "la vérité doit être dite sur la guerre d'Algérie".
C'est au nom d'une approche sous tendue par le principe du "devoir de vérité" sur la reconnaissance de ce qu'a été réellement le colonialisme, adossé à un traitement dans l'esprit d'une "mémoire apaisée" que la France appréhende la dimension mémorielle, selon les déclarations de ses dirigeants. "Pas de dissimulation, ni amnésie, ni déni", résume ainsi François Hollande. Dans la même optique, s'inscrit la "reconnaissance lucide des faits" que représentaient les manifestations du 17 octobre 1961et "l'hommage rendu aux victimes".
C'est donc au travers de cet "examen critique du passé colonial" par la levée du voile sur l'entreprise de dissimulation du fait colonial que les responsables actuels français envisagent de "sortir de l'affrontement mémoriel" sans aller jusqu'à formuler des excuses sous quelque forme que ce soit, analysent des historiens.
Le "contentieux mémoriel", né du silence sur les exactions de la colonisation
Il est utile, rappellent deux historiens spécialistes de la guerre d'Algérie, Benjamin Stora et Olivier Le Cour Grandmaison, que le "contentieux mémoriel" est né du silence sur les exactions commises par la colonisation française en Algérie et des tentatives de réhabilitation du colonialisme par la loi du 23 février 2005, instituée dans un esprit saint-simonien, faisant de l'acte de coloniser une approche civilisationnelle.
Cette loi, toujours en vigueur, selon Olivier Le Cour Grandmaison et dont seul l'article 4 a été abrogé en 2006 par l'ancien président Jacques Chirac, a exacerbé les rancœurs historiques et enfermé le débat mémoriel dans une logique d'hostilités et de confrontation.
Foncièrement "négationniste" et "révisionniste", explique l'historien, elle a suscité une forte réaction de parlementaires algériens, exprimée dans un projet de loi sur la "criminalisation du colonialisme".
Les différentes tentatives de faire bouger les lignes dans le "paysage mémoriel" de l'autre coté de la rive de la méditerranée remontent à février 2005 lorsque l'ancien ambassadeur de France à Alger, Hubert Colin de Verdrière a qualifié les massacres du 8 mai 1945 de "tragédie inexcusable". Cette déclaration sera suivie par celle de Bernard Bajolet, ancien chef de poste diplomatique à Alger, sur la "fin de la dénégation" et celle de l'ancien président Nicolas Sarkosy en 2007 sur la "nature injuste du colonialisme".
Destinées à détendre le "front mémoriel", ces tentatives n'ont pas mis fin à la "guerre des mémoires" parce que jugées "insuffisantes" pour "réparer une injustice historique" et "laver la France du péché originel de la colonisation" selon la formule de François Hollande, considèrent nombre d'historiens.
L'Algérie, qui n'a jamais fait l'impasse sur la dimension mémorielle, dans sa relation bilatérale avec la France, a appelé par la voix de son président à "une lecture objective de l'histoire, loin des guerres de mémoire et des enjeux conjoncturels" pour "transcender les séquelles du passé douloureux" et "aller vers un avenir où règnent confiance, compréhension, respect mutuel et partenariat bénéfique".
Pour le Président Bouteflika: " l'écriture de l"histoire relève de la seule compétence des historiens, des enseignants spécialisés et des chercheurs et il revient au peuple et aux nations de façonner cette histoire. La polémique politique ne sera alors qu'un aléa qui risque, certes de semer la confusion, mais n'altérera en rien la vérité".