En procédant au rapatriement des crânes de 24 résistants algériens à l’occupation française, l’Algérie aura "honoré sa dette" envers ces derniers, a affirmé le chercheur en histoire, Hassan Remaoun, qualifiant la séquestration en France de ces ossements de "morbide et criminelle".
"En tant qu’Algérien d’abord, je ne peux que me réjouir de cette nouvelle. L’Algérie a honoré ainsi sa dette envers des résistants que l’armée coloniale, ne se contentant pas d’éliminer en tant que combattants, est allée jusqu’à porter atteinte à l’intégrité de leurs corps en les décapitant", a déclaré à l’APS M. Remaoun.
Commentant, ainsi, le rapatriement, vendredi, de ces ossements, le chercheur associé au Centre national de Recherche en Anthropologie sociale et culturelle (CRASC), a estimé que la séquestration de ces ossements humains, pendant une si longue période, n’était pas "une prise de guerre mais un crime absolu contre l’humanité", qualifiant cet acte de "morbide et criminel".
En exposant ainsi les têtes de ces valeureux combattants, la France coloniale voulait les présenter comme "un signe de prétendue bravoure et de puissance", a ajouté M.
Remaoun, précisant que les crânes des Algériens étaient "classifiés et enfermés" dans des réserves du Musée de l’Homme (Paris), avant d’être découverts par un chercheur d’origine algérienne.
Il a noté, en outre, que pour le système colonial, ce procédé "avait une fonction importante dans la stratégie de mobilisation des soutiens et ressources nécessaires à l’expansion et à la perpétuation du nouvel ordre social qui émerge dès l’aube du capitalisme, pour se généraliser au XIXe siècle: Pour s’assurer l’appui des populations des métropoles coloniales et du centre impérial, il fallait les motiver en leur faisant miroiter les retombées dont elles pourraient, elles-mêmes, tirer profit, mais aussi en mobilisant les ressources émotionnelles", a-t-il explicité.
Par conséquent, il s’agissait pour l’empire colonial de "faire passer des actions profondément criminelles pour des actes nobles et civilisateurs et, pour cela, il devait fabriquer l’illusion de la participation de chacun comme +si on y était soi-même+ en important des fétiches", poursuit-il, avant de déplorer qu’en plus d’être présentés "comme signe de puissance" pour les armées coloniales, les ossements et crânes humains étaient également exhibés comme "curiosités scientifiques".
Ce qui explique, a-t-il détaillé encore, que "des millions de photographies, dessins et objets aient été importés en Europe pour être exposés aux populations dans des musées et lors d’expositions", faisant rappeler que des historiens contemporains, notamment en France, ont tenté de "recenser" ces objets mis en vitrine.
Ce qui mériterait, à ses yeux, un "hommage pour tout ce qu’ils ont accompli dans ce domaine".
Le chercheur au CRASC tient à souligner que "cela ne s’est pas arrêté là, puisque même des êtres vivants ont été déplacés pour être exposés dans des cirques", citant le cas de la Vénus Hottentot, exhibée en Angleterre et en France et dont les restes furent exposés au Musée de l’homme, une fois décédée jeune en 1816, avant d’être restitués, en 2012, à son pays d’origine, l’Afrique du Sud.
"L’Anthropologie physique occidentale, empreinte à l’époque d’ethnocentrisme et de racisme, avait besoin de ces reliques pour +prouver+ la supériorité physique et morale de +l’homme blanc+ et, donc, sa prédisposition à déployer une mission civilisatrice à travers le reste du monde", a commenté M. Remaoun.
Et dans ce registre, ce fut le cas "des Algériens comme de bien d’autres et jusqu’au tout début du XXe siècle des Hereros namibiens qui, après avoir subi un véritable ethnocide, ont vu leurs ossements transportés en Allemagne, pour étayer à travers de prétendues études scientifiques, des théories qui contribueront à ouvrir la voie au nazisme"a-t-il développé encore.
--Assurer la mémoire, la dignité et la sérénité des Algériens-- Interrogé sur la portée du rapatriement en Algérie desdits crânes, l’historien est d’avis que cette mesure "exprime des demandes tant réclamées et issues du plus profond de notre société et pourrait aider à assurer la mémoire nationale ainsi que la dignité et la sérénité de notre peuple".
De même qu’elle peut constituer "un maillon supplémentaire pour cultiver au sein de notre jeunesse, civisme et patriotisme".
Tout en considérant que les Algériens sont "en droit d’attendre, aussi bien de l’ancienne puissance coloniale que des autorités nationales", pareille démarche, le chercheur a tenu à noter que "les ossements de l’époque coloniale n’ont plus la même signification en ce début du XXIe siècle, où les statues des esclavagistes et des généraux coloniaux ont tendance à être déboulonnées dans leur pays d’origine même".
"Toujours est-il que, tout en se débarrassant de pièces à conviction flagrantes témoignant du passé colonial de leur pays, les autorités françaises ont sans doute donné à cette action les allures d’un geste en direction de notre pays, et il sera possible de l’accepter comme tel s’il est suivi par d’autres à l’avenir", a-t-il fait remarquer.
Une perspective qui dépendra, selon le chercheur, "également des aléas liés aux stratégies électorales du mouvement du Président français et des autres partis politiques français", plaidant pour "continuer à avoir un œil éveillé sur notre passé, sans perdre de vue que, de plus en plus, la pression de notre jeunesse exige que nous sachions aller de l’avant".
"L’un et l’autre regard devant s’exercer simultanément. Ainsi vivent et évoluent les sociétés humaines", fait observer M. Remaoun, en guise de conclusion.